L'escalade du "toujours plus", un fléau social et managérial confronté à la médiocrité universelle et salvatrice.
Le principe de médiocrité est un principe cosmologique & philosophique, selon lequel la Terre et ses habitants sont banals, ordinaires ou médiocres au sein de l'Univers. Le soleil est qualifié d’étoile médiocre, de taille moyenne, située entre des milliards d'étoiles, dans un lieu quelconque de la voie lactée... Ainsi, la médiocrité au sens strict du terme, n'est pas une notion péjorative ou négative.
Dans son ouvrage original "Good Enough : The Tolerance for Mediocrity in Nature and Society", Daniel S. Milo, philosophe et naturaliste, déconstruit la théorie darwiniste de la "Loi du plus fort", appliquée au sens politique & social. Il démontre l'existence et la viabilité des êtres du vivant médiocres ou "juste bons".
Pour cela, il s'appuie sur l'homologie entre la "sélection naturelle" et la "main invisible" d'Adam Smith. La nature se perfectionne continuellement, et le marché a toujours raison. Si les êtres-vivants sont condamnés à innover et exceller, parce que telle est la loi de l’évolution, les humains n’ont pas davantage le droit de se reposer sur leurs lauriers.
Or, dans la nature, les ordinaires ou passables survivent et se reproduisent. En effet, certaines espèces sont dotées d’attributs, parfois utiles - comme le long cou de la girafe, parfois moins - comme le système digestif complètement inadapté au régime alimentaire du panda géant. Ces caractéristiques ne sont pas déterminantes dans l’évolution, le dessein de la nature n'est pas de traquer ou d’éliminer ces espèces "médiocres".
Ainsi, mener une quête permanente vers l'exploit, le succès ou l'héroïsme est vaine. En effet, les organisations qui valorisent à outrance l'excellence, la surperformance ou encore la rivalité, ne permettent plus "l'erreur". Elles en deviennent alors paralysantes, inhibant toute créativité et chemin vers un "juste bon".
Pour évoluer, ces organisations ferventes adeptes du "toujours plus", doivent se réinventer et s'appuyer sur les ressources "moyennes". Les médiocres ou bien les "good enough" se révèlent compétents, en maîtrise de leurs domaines d'activité, conscients de leurs forces et faiblesses, ils cultivent et transmettent leurs savoirs, ils sont "juste bons". Ils ne cherchent ni la lumière, ni l'obscurité. Des ressources essentielles et pourtant peu valorisées.
Et si les médiocres étaient in fine des excellents en puissance ?
LE MANAGEMENT DE DEMAIN EST-IL CONDAMNÉ À ÊTRE MÉDIOCRE ?
Donald W. Winnicott, pédopsychiatre et psychanalyste, a développé la théorie de la "mère suffisamment bonne". Une mère n'a pas besoin (ne doit pas) d’être parfaite pour élever un enfant sain, équilibré & créatif. L'acceptation des imperfections permet à l'enfant de développer une capacité de résilience, d'initiative, d'affirmer son expression de soi. Il n'est pas en attente de satisfaction immédiate et totale.
Transposé au management, le concept de la "mère suffisamment bonne" introduit l'idée d'un manager "juste bon". Un management conscient que la perfection est inatteignable voire contre-productive.
Un rôle crucial pour enrayer l'escalade constante du "toujours plus". Ces managers sont les émissaires d'une croissance saine, ayant pour ambition de créer un environnement bienveillant et sécurisant, qui favorise l'apprentissage, l'expérimentation et l'échec (perçu comme une opportunité). Un management caractérisé par un équilibre entre confiance, autonomie et accompagnement. Une approche en rupture avec les modes de management actuels qui prônent le contrôle, les processus intangibles, la performance & les résultats quantitatifs.
Pour cela, il est urgent de renoncer au goût de l'excellence et d'encourager la libération des egos. En effet, le rayonnement du "juste bon" requiert une acceptation sans réserve de l'erreur et une confiance auprès des collaborateurs, du management, mais aussi des équipes dirigeantes.
Le "juste bon", c'est aussi l'opportunité de décomplexer le management (nous ne sommes pas tous des managers, leaders inspirants, charismatiques… et c'est une bonne nouvelle !) et d'encourager, faciliter les prises de décision. Un manager "juste bon" est un guide, défenseur de l'erreur, de l'initiative individuelle, de la créativité, dans un environnement bienveillant. Un éclaireur suffisamment clairvoyant envers lui-même, pour apporter reconnaissance, autonomie & bien-être professionnel (il est peut-être ici finalement notre leader inspirant ?).
En bref, le "juste bon" offre une voie prometteuse pour les organisations à la recherche d'une croissance raisonnée, tout en favorisant le bien-être et développement professionnel de ses collaborateurs.
LE MODÈLE « JUSTE BON » EST-IL COMPATIBLE AVEC L’ESSOR DE L’IA GÉNÉRATIVE ?
Une intégration éthique et responsable de l’intelligence artificielle pourrait favoriser l’atteinte du "juste bon". Déléguer aux outils les tâches chronophages et à faible impact, permettrait de libérer du temps pour les initiatives à plus forte valeur ajoutée, comme l'engagement des collaborateurs, le développement du leadership ou encore l'accompagnement personnalisé des clients et partenaires.
Cependant, l’utilisation de l’IA se devra impérativement d’être raisonnée et adaptée aux usages définis, au risque de se complaire dans une exigence moyenne, qui deviendrait alors antinomique du "juste bon".
Une utilisation raisonnée, est indispensable tant sur l’aspect humain qu’environnemental. En effet, l’IA est extrêmement gourmande en ressources et requiert une grande quantité d’énergie pour fonctionner. Ainsi, le modèle du "juste bon" invite également les organisations à se projeter dans une nouvelle dynamique de croissance équilibrée.
C’est une approche holistique qui nécessite de repenser nos modèles économiques pour se dévêtir du "sur" : surproduction, surconsommation, surperformance… au profit d'un modèle durable, avec des ressources terrestres limitées, mais des ressources humaines infinies.
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