Dans tout projet de transformation, un mythe persiste : il suffirait de convaincre les équipes pour réussir le changement. Comme si l’adhésion pouvait être obtenue par la seule force d’un argumentaire bien construit ou d’une communication inspirante. La réalité, sur le terrain, est bien plus nuancée, et parfois plus exigeante.
Mobiliser et embarquer les équipes ne se décrète pas : cela se construit. Et cette construction exige de prendre en compte non seulement les enjeux organisationnels, mais surtout les dynamiques humaines qui se jouent derrière toute évolution, aussi technique soit-elle.
Aujourd’hui, près de 70 % des projets de transformation échouent, principalement en raison de la résistance des collaborateurs et d’un manque d’implication managériale[1]. Ce chiffre nous rappelle une évidence souvent négligée : la réussite d’un projet ne repose pas uniquement sur une stratégie bien pensée, mais sur la capacité à engager les personnes concernées.
C’est dans cette perspective que s’inscrit notre démarche du change management : plus stratégique, plus humaine, et surtout plus ancrée dans le réel. Dans cet article, je vous propose d’explorer 7 leviers concrets pour mobiliser sans contraindre, intégrer les réfractaires comme des acteurs à part entière, et bâtir une dynamique de changement réellement partagée.
Car au-delà des aspects techniques ou organisationnels, ce sont les réactions émotionnelles qui façonnent l’adhésion ou la résistance. Et c’est précisément par ce prisme, celui des émotions, que nous allons ouvrir notre réflexion.
1. PASSER EN MODE DÉCODAGE : CHANGEMENT VS ÉMOTIONS
Etudier les émotions de nos populations cibles, c’est poser les bases d’un accompagnement réellement efficace. Cela permet d’identifier les zones de blocage les plus probables, mais aussi d’ajuster les messages, les temps et les modes d’accompagnement selon les cibles et les phases du projet. Un collaborateur en phase de rejet n’a pas besoin des mêmes arguments qu’un autre qui commence à expérimenter la nouveauté.
C’est ici que la courbe du changement, inspirée des travaux d’Elisabeth Kübler-Ross, devient un outil précieux. Elle modélise les différentes étapes émotionnelles traversées lors d’un changement : sidération, déni, colère, peur, acceptation, expérimentation, intégration… À chaque étape, émergent des réactions spécifiques qui exigent une posture managériale et une communication adaptées.
En analysant ces réactions avec finesse, on renforce notre capacité à comprendre les dynamiques humaines à l’œuvre dans l’organisation. La résistance n’apparaît plus comme un obstacle à éliminer, mais comme une étape naturelle, parfois même nécessaire, du processus de transformation.
Enfin, décoder les émotions qui accompagnent le changement permet de nourrir une forme d’empathie organisationnelle. Au lieu d'imposer, on accompagne ; au lieu de convaincre, on écoute. Et c’est bien souvent là que se joue la bascule entre un changement subi et une transformation vécue.
2. ADAPTER SELON LES CIBLES ET LES ÉMOTIONS
Toutes les populations d’une organisation ne vivent pas le changement de la même façon, et c’est tout à fait normal. Selon leur métier, leur niveau d’implication, leur exposition aux impacts ou leur historique de transformation, les réactions émotionnelles varient considérablement.
En analysant ces émotions en amont, il devient possible d’identifier des profils types : les enthousiastes, les attentistes, les inquiets, les sceptiques, les résistants passifs ou actifs. Chaque groupe, chaque « cible », appelle un mode d’accompagnement spécifique : contenu, posture, rythme, canal…
Face au changement, il serait tentant d’opposer les collaborateurs « moteurs » aux « freins », mais cette vision binaire est réductrice et souvent contre-productive. Derrière une attitude réfractaire se cachent souvent une crainte, une exigence ou la perception d’une incohérence. Les considérer comme un bloc homogène ou les ignorer revient à perdre un feedback précieux.
3. INTÉGRER LES RÉFRACTAIRES DÈS LE DÉBUT : UN PARI GAGNANT !
Plutôt que de subir ces résistances, il est bien plus efficace de les anticiper et de les transformer en ressource. Intégrer les réfractaires dès la phase de conception, écouter leurs objections, identifier leurs leviers de motivation permet de lever les blocages, mais aussi de bâtir une dynamique collective plus solide.
C’est souvent en donnant une place aux voix critiques que l’on enrichit la stratégie de transformation : on gagne en pertinence, en crédibilité et, au final, en adhésion durable.
4. RÉFRACTAIRES : TOUS DANS LE MÊME PANIER ?
Absolument pas : tous les réfractaires ne s’équivalent pas. Derrière une posture de résistance, les motivations, les émotions et les dynamiques peuvent être très différentes.
Certains sont des opposants constructifs, précieux car ils challengent les hypothèses et apportent des alternatives. Leur résistance est une forme d’engagement : ils veulent comprendre avant d’adhérer.
D’autres sont ambivalents, partagés entre inquiétudes et curiosité. Leur scepticisme n’est pas figé. Ils restent ouverts à la discussion, à condition d’être écoutés et rassurés.
Enfin, il existe des opposants plus fermes dont les blocages reposent souvent sur des enjeux émotionnels, identitaires ou culturels. Leur posture nécessite davantage d’empathie, de patience et parfois de médiation.
Travailler différemment avec chacun de ces profils est essentiel. Cela permet non seulement de ne pas tout ramener à une échelle unique de « résistance », mais aussi d’adapter les moyens de mobilisation et les modalités d’intégration selon le vécu de chacun.
Choisir de rendre un réfractaire acteur de la transformation est un levier puissant. En lui donnant un rôle concret - représentant d’utilisateurs en comité projet, testeur, pilote ou porte-parole terrain - un profil critique devient visible, écoutée et utile au collectif.
Alors, pourquoi résistance serait-elle toujours perçue comme négative ? Elle peut aussi révéler une haute vigilance professionnelle, un sens des responsabilités élevé, voire un attachement fort au métier.
Plutôt que de vouloir « faire taire » cette voix, reconnaissons-la comme une force dans le processus de gouvernance du changement. Cela nous envoie un signal fort : la transformation n’est pas un rouleau compresseur, mais un processus vivant, qui se construit dans le dialogue.
5. PASSER D’UNE RÉSISTANCE SUBIE À UNE PARTICIPATION CHOISIE
La clé, c’est de valoriser la vigilance d’un réfractaire comme compétence et de transformer une posture défensive en engagement actif. Cela suppose de créer des espaces de parole, d’écoute et de reconnaissance.
C’est aussi un moyen de renforcer l’équité perçue dans les transformations : tout le monde a le droit à la parole, même quand celle-ci dérange.
Face au changement, l’information du changement ne suit jamais un parcours linéaire. Si les canaux officiels sont indispensables pour structurer la communication, ce sont souvent les échanges informels, entre pairs, au détour d’une réunion ou d’une pause, qui propagent réellement le changement sur le terrain. C’est dans ces moments du quotidien que les perceptions se forgent, que les doutes se propagent ou que l’adhésion naît.
6. INTÉGRER DES AMBASSADEURS AU CŒUR DE LA DÉMARCHE DE CHANGEMENT
Les relais internes, choisis parmi les différentes populations concernées, jouent un rôle de proximité que les dispositifs top-down ne peuvent pas assumer seuls.
En créant des communautés pour relayer les messages clés de manière accessible, on crée des espaces où les questions peuvent émerger librement, où les résistances se détectent en amont et où on peut récolter des feedbacks terrain précieux pour ajuster les actions d’accompagnement sur le projet.
Ces ambassadeurs doivent être identifiés dès les premières étapes du projet et représenter la diversité des métiers, des niveaux hiérarchiques et des postures face au changement. n cela, ils ne se contentent pas de diffuser la transformation : ils la crédibilisent et ils en deviennent les porte-voix les plus légitimes.
7. EMBARQUER LES MANAGERS DANS LE MANAGEMENT DU CHANGEMENT
La performance d’une entreprise repose sur un cercle vertueux : l’engagement des collaborateurs, la cohérence des messages et une vision partagée de la transformation. Mais ce cercle ne fonctionne que si les managers y tiennent toute leur place.
Il est donc essentiel d’embarquer également les managers dans le changement. Leur participation à des communautés ou dans la co-construction les engage dans une posture active : ils transmettent les bons messages à leurs équipes et apprennent aussi des autres lectures du terrain auxquelles ils sont confrontés. Cela les pousse à anticiper les résistances et à incarner le changement avec plus de cohérence.
Un manager impliqué, aligné et bien outillé, c’est une équipe qui suit. Leur engagement n’est donc pas un simple « plus », mais un facteur décisif de réussite dans la durée. Sans eux, le changement reste une intention ; avec eux, il devient collectif.
CONCLUSION :
Transformer un "non" en "je tente le coup", ce n’est pas une utopie. C’est une posture.
Accompagner le changement, ce n’est pas faire disparaître la résistance, c’est apprendre à l’écouter, à la comprendre, à l’intégrer. C’est passer d’un mode « pédagogie descendante » à un mode de construction collective, où chacun - moteur comme réfractaire - trouve sa place et joue un rôle dans le récit de la transformation.
Reconnaître la résistance comme naturelle n’est pas un aveu d’échec, bien au contraire. C’est une preuve de lucidité. Car cette résistance, loin d’être un obstacle à éliminer, est souvent une étape incontournable du processus d’acceptation. Elle exprime des craintes, des questionnements, parfois un attachement à ce qui fonctionne déjà. L’enjeu n’est donc pas de l’éteindre mais de la comprendre, de l’anticiper, et parfois de la transformer en levier.
Les outils existent : courbe du changement, typologies d’acteurs, communautés d’ambassadeurs, implication managériale, feedback terrain. Mais sans intention claire, sans volonté réelle d’embarquer plutôt que de convaincre, ils restent des dispositifs techniques. Le levier majeur, c’est l’intelligence relationnelle qu’on injecte à chaque étape du projet.
Car au fond, les collaborateurs n’attendent pas qu’on les pousse dans une direction : ils attendent qu’on leur donne envie d’y aller. Cela passe par du sens, de la reconnaissance, de la visibilité et de la capacité d’action.
Alors oui, embarquer sans forcer, c’est possible. Et c’est même la meilleure garantie de réussite d’une transformation !
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[1] Vorecol, 2024.

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